Considéré comme l’un des plus grands paysagistes lorrains d’entre-deux guerres, Alfred Renaudin mettait en scène dans ses toiles une représentation parfaite de nos campagnes, de nos villages éclairés par une lumière douce et chaude. D’un coup de pinceau sûr et appliqué, il donnait vie à notre Lorraine mais pas uniquement. Il détient assurément une place éminente dans l’histoire de l’art lorrain.
C’est dans les Vosges à Laneuveville-lès-Raon, près de Raon-L’Etape, que naît le 3 juin 1866, Alfred Renaudin. Il est l’aîné des deux fils de Valentin Renaudin et de son épouse, née Françoise Thomassin. Son père est employé de chemin de fer. Un souvenir marquera la mémoire de l’artiste lorsqu’en 1870, des soldats prussiens incendièrent la maison de famille. Ses voisins transportèrent alors le petit garçon qu’il était afin de le mettre à l’abri des flammes. A la fin de la guerre 1870-1871, la famille quitte les Vosges et s’installe à Croismare, petit village situé près de Lunéville, où existait une verrerie. Témoin des évolutions de l’unique industrie de l’endroit, Renaudin est tout naturellement appelé à la rejoindre afin d’y gagner sa vie. Fasciné par les formes lumineuses naissantes au bout de la canne des souffleurs, il s’intéresse à la décoration et entre comme apprenti céramiste en 1881 à la Faïencerie Keller et Guérin de Lunéville. Il est placé dans les mains expertes du vieux maître France qui n’eut pas grande difficulté à lui enseigner toutes les ficelles de l’art du feu. Étonnamment doué, il possédait le feu sacré qui donne à l’individu une envie impétueuse de peindre et de dessiner. Révélant très vite de brillantes dispositions, il suscita l’intérêt de ses patrons, Messieurs Guérin et Keller mais aussi par un de leurs amis, le baron de Ravinel, grand collectionneur et connaisseur d’art.
Le jeune Renaudin dans les ateliers de décoration
de la faïencerie de Lunéville en 1893
Une nouvelle période de sa vie s’ouvre lorsqu’il est confié à Maître Jules Larcher, directeur de l’Ecole des Beaux-arts de Nancy. Renaudin continue donc d’améliorer ses techniques de dessin et de peinture en faisant connaissance avec les œuvres des plus grands maîtres. Il est atteint par une frénésie du détail qui le pousse à noter tous les signes que lui apporte la nature et qui émerveille tant le jeune adolescent. Sa constitution robuste lui permet de résister à un surmenage certain en raison de la juxtaposition de ses journées de travail à la faïencerie, de ses soirs passées aux cours des Beaux-arts et de ses nuits blanches consacrées à ses études personnelles. Plein d’un mérite prometteur et de réussites, ses professeurs lui donnent les moyens de poursuivre ses études à Paris, à sa grande joie.
Alfred Renaudin choisit le paysagiste Henri Harpignies comme maître tout en fréquentant les ateliers des peintres Rivoire et Liant et s’attachant à l’aquarelliste Paul Rome. Avec Harpignies, Renaudin perfectionne son sens inné de la composition et apprend aussi que l’originalité et la personnalité d’une œuvre ne résident pas uniquement dans des tours de passe-passe ou encore dans des pirouettes plus ou moins scabreuses. Elles se trouvent dans la vraie recherche d’atteindre à interpréter en beauté.
A l’âge de 24 ans, en 1890, Alfred Renaudin a déjà tout d’un grand peintre. Suivant le conseil prodigué par ses maîtres, il effectue un premier envoi au Salon des Artistes Français avec un paysage de Lorraine. Reçu d’emblée, ces encouragements ne font que renforcer sa technique et son habilité déconcertantes. En 1892, il effectue un séjour prolongé en Afrique. Il devient un véritable globe-trotter et parcourt l’Egypte, la Hollande, l’Espagne … En 1896, au Salon de Paris, Renaudin reçoit une mention honorable avec un paysage de Lamath-sur-Mortagne. La vie est encore dure pour lui mais il commence à vendre des toiles. Cette même année, il se rend en Italie. Perfectionniste à souhait, il revient en France animé par une abondance de sensations et d’enseignements riches. Il trace pas après pas le chemin qui va le conduire vers la place méritée qu’il occupe encore aujourd’hui parmi les artistes lorrains. En 1898, il plante son chevalet en Angleterre et en Ecosse où il compare les horizons bleutés avec les silhouettes grises de ses Vosges natales. En 1899, il obtient sa 3ème médaille d’or du Salon de Paris grâce à une vue de Ville-sur-Ivron, sur laquelle sont représentées au premier plan des vaches à l’abreuvoir.
La famille du peintre sur
les hauteurs de Montmartre
Sa notoriété grandissante va lui permettre de fonder un foyer. Il voyage beaucoup entre Paris et la Lorraine. Il rencontre à Val-et-Châtillon, Mlle Marie Marguerite Zeller, de dix ans sa cadette. Cette dernière est la fille de Jules Zeller, directeur de l’usine textile Bechmann, et la petite-fille de Jean-Baptiste Zeller, qui précéda son fils Jules aux destinées de l’usine. Le couple, marqué par l’estime et l’affection, s’unit à Nancy le 18 juin 1901. Quatre filles naitront : Marguerite, Madeleine, Françoise et Thérèse, toujours vivante. La vie est partagée entre l’atelier rue Caulaincourt à Paris et la demeure nancéenne, au 51 rue Pasteur, acquise après 1901. Située sur un vaste terrain contigu au parc Sainte-Marie, cette maison fut construite à l’origine pour Georges Ambiel par l’architecte Lucien Bentz. Mais le commanditaire décéda avant son achèvement et sa veuve décida de s’en séparer. Elle appartient toujours à la famille Renaudin et à ses descendants plus d’un siècle après son acquisition. La petite famille y vient se délasser et Renaudin goûte au plaisir de jouer avec ses filles et de s’occuper du jardin, véritable paradis ouvert à tous.
Aux dires d’un de ses anciens élèves, Jean Diebold, Renaudin préparait lui-même ses toiles avec de la céruse qui était interdite en industrie. Il passait trois couches car il estimait que le blanc de céruse était le meilleur. Pour peindre, il utilisait tantôt le blanc d’argent tantôt le blanc de zinc. Il avait des tubes de couleur dans un petit meuble à casier. Ses couleurs étaient d’excellentes qualités et ne pouvaient noircir. Cependant, le peintre ne voulait jamais vernir ses toiles mais elles l’étaient parfois à la demande des acheteurs. Dans ses déplacements, Renaudin voyageait toujours à bicyclette avec un imposant matériel sur le porte-bagages : la boite de couleurs, le chevalet, le siège, le parasol, des toiles et parfois même des pots de fleurs qu’il disposait ensuite sur les fenêtres des maisons du village qu’il peignait ! Il partait souvent pour plusieurs jours et logeait directement chez l’habitant. Il commençait souvent trois toiles à des heures différentes et en gardant la même lumière. Tout était fait d’après nature. Entre-temps, il brossait les personnages et les animaux sur des petits morceaux de toile. De retour dans son atelier, il plaçait ses croquis devant le paysage en cours jusqu’à leur trouver l’endroit idéal où les reporter.
Maison « Art Nouveau » de la famille Renaudin, 51 rue Pasteur à Nancy
D’années en années, de découvertes en découvertes, le peintre sublime ses œuvres dans ses études patientes et pertinentes de la nature. La consécration d’un tel talent survient en 1908 lorsque Renaudin est classé hors concours au Salon des Artistes Français de Paris. Cette haute récompense lui est attribuée grâce au tableau « Le Calvaire et la Mare ». Toutes les qualités du peintre y sont concentrées et condensées. Un brin poète, Renaudin déclare un jour au Maréchal Lyautey lors d’une exposition : « Je veux qu’on se promène dans mes toiles ». Ainsi le visiteur n’est pas moins attiré par les détails et par les sentiments qui se dégagent de manière subtile et sensible du chef-d’œuvre.
Alfred Renaudin, paysagiste, à Liverdun
carte postale de la série « les artistes lorrains »
En 1914, la Première guerre mondiale éclate. Âge de 48 ans, Renaudin n’est plus apte à être soldat mais il n’en est pas moins indifférent. Il s’engage pour les autres en œuvrant à l’Ecole des Beaux-Arts de Nancy devenu un hôpital. A sa fermeture, il quitte la Lorraine avec sa famille pour rejoindre l’Auvergne, plus précisément la région de Brioude, à Fontannes, qui le séduit particulièrement. Il trouve sur place une contrée pittoresque qu’il ne tarde pas de peindre. C’est ainsi, que l’abbaye de Lavaudieu avec son splendide cloitre gothique lui inspire une merveilleuse toile. Sa fascination pour les vieux ponts en pierre en dos d’âne va pouvoir s’exprimer. C’est également de cette époque que datent les tableaux de la fontaine de Saint-Julien, de la basilique de Brioude ou encore de la rue Savaron. L’éloignement ne fait pas oublier à Renaudin sa Lorraine natale. C’est ainsi que la ville de Québec traite avec lui pour l’acquisition d’une vue de Verdun, à exposer dans la grande salle du Parlement canadien.
Alfred Renaudin dans son atelier parisien
(aquarelle peinte par son élève Louis
Gentil en 1924). collection particulière.
A son retour en Lorraine, Renaudin passa deux années complètes à représenter les ruines de Gerbéviller et de Verdun en une grande quantité de toiles afin de laisser un témoignage sincère des dévastations allemandes. A l’aide du médecin général Edmond Delorme, un grand Lunévillois, Alfred Renaudin contribua à la création du Musée d’Art et d’Industrie de Lunéville. Il enrichit les collections en faisant don d’une série de toiles importante représentant la ligne du front du Grand Couronnée mais aussi d’un grand panorama de la ligne bleue des Vosges.
En 1928, il revient en Auvergne où il réalise une exposition à Clermont-Ferrand. Sa renommée devient nationale et internationale. En 1932, il contribua activement à la réalisation d’un Comptoir alsacien-lorrain à la vente de charité dans la maison de Rothschild en faveur des artistes malheureux. Le prix de ses œuvres montent en flèche. Des graveurs cotés lui demandent même l’autorisation de reproduire des copies de ses tableaux à l’eau-forte. Renaudin est aussi appelé par le Président de la République, monsieur Albert Lebrun, qui lui commande une série de tableaux pour sa propriété à Mercy-le-Haut en Meurthe-et-Moselle. Ravi, Lebrun achètera également une toile représentant la maison natale à Chamagne du peintre Claude Gellée. Par décret du 31 juillet 1934, suite à un rapport rendu par le ministre de l’Education Nationale, Alfred Renaudin est élevé à la dignité de chevalier de la Légion d’Honneur. C’est Henri Royer, le grand artiste peintre lui aussi d’origine lorraine, qui procéda à la remise de la récompense à Nancy le 6 octobre de la même année.Mais la vie de Renaudin n’est pas seulement marquée que par des joies, des réussites et des dépassements de soi, mais elle comporte aussi un véritable calvaire. Il paiera un lourd tribut en entrant en 1939 dans une troisième guerre dont il ne verra jamais la fin. Dans la nuit du 9 au 10 mai 1940, une des premières bombes tombées sur Nancy échoue sur sa propriété qui est partiellement dévastée ainsi que son atelier. La famille quitte une nouvelle fois la Lorraine. Ils rejoignent Fontannes et l’Auvergne qui les avaient si bien accueillis lors de la première guerre mondiale. Quelques temps après leur arrivée, Renaudin apprend le décès de son gendre, tué à son poste d’officier. Il trouve consolation dans son art et dans l’affection des siens qui l’entourent. Son atelier auvergnat est une modeste grange attenante à la ferme où il habite. Le feu qui a marqué sa vie vient le frapper une ultime fois lorsqu’une nuit, le foin et la paille s’embrasent laissant réduit à néant son univers et cet endroit de création. Tout le labeur produit en Auvergne est détruit de même que toutes les toiles précieuses qui avaient été sauvées du bombardement nancéen. C’est le travail de plusieurs années et le meilleur de toute une vie qui fut réduit en cendres ! Très affecté de ces pertes inestimables et irréparables, il accepta cette épreuve comme celles qu’il avait déjà traversées auparavant avec un courage extraordinaire. La seule chose qui selon lui permettait de combler ce vide, c’était de travailler davantage. Il reprit de plus belle et continua ses longues et nombreuses séances de peinture en plein air.
Alfred Renaudin dans les
dernières années de sa vie
Tout s’arrêta brusquement lorsque le 7 novembre 1944, alors qu’il s’apprêtait à se lever pour terminer une toile aux bords de l’Allier. Il fut soudainement terrassé par un malaise, et s’éteignit sans même pouvoir prononcer un seul dernier mot. Il fut inhumé dans le petit cimetière du village avant que sa dépouille se puisse rejoindre sa Lorraine natale après la seconde guerre mondiale. Il repose aujourd’hui dans le caveau familial de la famille Zeller, à quelques tombes de celle du Père Umbricht, au cimetière de Val-et-Châtillon en Meurthe-et-Moselle. Son désir, qui était de mourir sans subir la déchéance physique ou morale, a été ainsi réalisé. Il est à présumer que la providence pour laquelle il avait foi lui aura offert dans le paradis des peintres une place de grand choix. En relisant sa vie, il est impressionnant de voir ô combien elle a été marquée par le feu et par les départs précipités des endroits où il résidait: de sa fuite avec ses parents lorsqu’il avait quatre ans jusqu’à ce dernier incendie dans sa grange-atelier de Fontannes en passant par le bombardement de sa propriété nancéenne.
En 1987, une grande exposition eut lieu au musée de Lunéville, sa ville d’adoption. Deux rues portent son nom : une à Lunéville et une autre à Raon-l’Etape, le berceau familial. Aucun signe de reconnaissance de son œuvre et de son talent n’a été encore manifesté à ce jour dans notre commune et il faut y songer afin que ce grand artiste ne tombe pas dans l’oubli. Il n’existe pas non plus d’ouvrages d’art ou de travaux universitaires réalisés sur le peintre. Aujourd’hui, il est étonnant de voir que Renaudin est peu connu en Lorraine. Par contre, sa renommée en France ou plus précisément à Paris n’est plus à démontrer de même que dans le monde car nombreuses de ces toiles se trouvent aux quatre coins du monde. A ce jour nul ne sait combien de toiles ont été peintes par le maître car beaucoup ont disparu lors des différentes tragédies qui jalonnèrent la vie de Renaudin. Nombreux sont les particuliers qui possèdent une toile. Plusieurs d’entre elles se trouvent au Musée de Nancy mais croupissent dans les réserves …. D’autres encore se situent dans l’ancien Musée du château de Lunéville, ravagé par un terrible incendie en 2003. Fort heureusement, aucune toile n’a souffert du sinistre. En 1990, les descendants de l’artiste ont fait don au Musée d’Orsay d’une huile sur toile appelée « Chrysanthèmes » datant des débuts de Renaudin en 1891, car ces derniers prétendent reléguer Renaudin à la catégorie des peintres de nature morte. Or, cet avis est assez rédhibitoire quand on appréhende les œuvres du maître.
Le peintre dans le parc des Bosquets
de Lunéville, sa ville d’adoption
Aucun peintre n’a mieux rendu l’atmosphère de la Lorraine et les Vosges que Renaudin au travers de cette brume toujours en suspension et ces gris si difficiles à exprimer sur la toile. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si les critiques d’art parisiens l’appelaient « Monsieur gris subtil », boutade qui exprime au mieux l’amour indéfectible de Renaudin pour de la nature.
Comment ne pas conclure en citant René d’Avril, critique d’art bien connu dans les milieux artistiques et la presse littéraire qui écrivait le 29 mai 1945, quelques mois après le décès du maître : « Que de fois n’ai-je pas admiré soit dans son atelier, soit aux expositions, ce que son pinceau exact mais jamais froid, traduisait d’amour de nos campagnes lorraines, lesquelles ne donnent pas volontiers leur cœur, mais le réservent presque tout entier à leur fils. ».
Olivier BENA
Sources :
- Jean-Marie Cuny, Françoise Puyrigaud... Revue Lorraine populaire n° 70 (1986)
- Jacques Choux, catalogue de l’exposition de Lunéville (1987)
- Henri Claude, La Lorraine vue par les peintres (Editions Serge Domini 2003)
- Eric Mercier, Alfred Renaudin où l’art d’être Lorrain (Gazette de l’Hôtel Drouot n° 20 en 2003)
- Dominique Muntaner née Blanchet pour le tableau représentant la rue de la Traverse sous la neige (3 ème tableau de la page de droite). Il a été donné par Alfred Renaudin à son grand-père paternel, Emilien Blanchet 1883-1972, employé à la Société Cotonnière Lorraine, en remerciement d’un service rendu.
- et bien sûr Madame Elisabeth Thomas, petite-fille de l’artiste, à qui un grand merci doit être adressé, qui m’a autorisé l’utilisation et la reproduction de certaines œuvres pour cet article et qui m’a transmis si gentiment les deux tableaux de notre Val réalisés par son grand-père (les deux premiers tableaux de la page de droite).
Vous pourrez retrouver cet article dans le numéro 6 de la Nouvelle revue lorraine populaire à paraître fin janvier 2011.
Le peintre Renaudin en pleine exécution
d’une de ses œuvres